Reportage la semaine du 1er octobre 2019
Deux fois par an, les Mormons sont conviés à Salt Lake City pour la Conference. Ceux qui ne peuvent s’y rendre regardent cette sorte d’assemblée générale dans leur temple local, en direct sur grand écran. Les autres affluent des quatre coins de la planète dans la ville qui abrite le quartier général des Mormons. Reportage à Salt Lake City au sein d’un groupe de Polynésiens.
L’église de Jésus Christ des Saints des derniers jours, plus communément appelée église mormone, prends ses racines dans les révélations mystiques de Joseph Smith. Révélations qu’il a retranscrites dans son fameux Livre des Mormons. Après avoir constitué son église dans l’Etat de New York, il a envoyé des missionnaires prêcher à l’étranger. Parmi eux, trois sont arrivés sur la petite île de Tubuai, à 640 km au Sud de Tahiti. Ce fut ainsi la première terre en dehors des États-Unis à être convertie à l’église mormone.
Depuis, des missionnaires mormons sont envoyés en nombre dans ce foyer historique. C’est le cas de Steven et de Dori, un couple américain parti de 2017 à 2018 au service des communautés polynésiennes. A l’occasion du 175e anniversaire de l’arrivée des premiers missionnaires sur l’île, Steven a proposé au doyen de Tubuai et à sa femme de venir à Salt Lake City pour assister à la Conférence.
Harevaa Tehiarii, 79 ans, et son mari Apiatara, 82 ans, ont d’abord rechigné à l’idée de venir en Amérique. Loin de chez eux, dans un pays dont ils ne parlent pas la langue, dont ils ne connaissent pas les coutumes. Mais à force de persuasion, Steven a réussi à les faire venir, accompagnés de deux de leurs neuf enfants. C’est seulement la troisième fois qu’ils quittent leur pays. Les premières fois, c’était pour aller dans une plus grande île du Pacifique, en Nouvelle Zélande. Cétait déjà en pèlerinage, dans un temple Mormon.
En venant à Salt Lake City, ils ont l’opportunité de découvrir le temple sacré de l’église mormone, d’assister à la Conférence, et, peut-être, de saluer le « prophète », Russell Nelson. Il est le 17e président de l’église mormone et le principal orateur de la Conférence. « Le prophète m’a remis un cadeau lors de sa venue sur l’île », se souvient Apiatara. « Je veux lui dire que je n’ai pas oublié ».
Leur pèlerinage les amène aussi à l’université Brigham Young, surnommée BYU. BYU est financée en grande partie par l’église mormone. Et donc par la dime, l’impôt que chaque membre de l’Eglise paie, même à Tahiti. Otis, un Polynésien, parent de l’ex joueur du FC Nantes Marama Vahirua, fait un tour de l’université. Il se réjouit de voir que l’argent est « bien utilisé » pour offrir les meilleures infrastructures aux 33.000 étudiants.
Le fondateur de BYU, Brigham Young, fut le 2e président de l’église mormone et celui qui a conduit l’exode des Mormons jusqu’au Grand Lac Salé (Salt Lake). Cet exode fut mené au milieu du XIXe siècle, après les persécutions des premiers Mormons et l’assassinat de Joseph Smith, le premier prophète, . Dans l’Utah, les nouveaux arrivants ont irrigué le désert et l’ont transformé en une terre fertile. Otis voit dans la miraculeuse opulence de la région la preuve de la réalisation de la volonté de Dieu.
Salt Lake City est censée être une Sion des temps modernes, une sorte de paradis sur terre en attendant le salut dans les temps derniers. Mais Éric confie : « Le paradis, je pense qu’il est plutôt chez moi, à Tahiti ». Cet artiste, auteur du monument en souvenir des désastreux essais nucléaires à Tahiti, veut profiter de ce pèlerinage dans les lieux historiques de l’Église mormone pour réaliser des œuvres in situ.
Eric est toujours prêt à amuser les autres, que ce soit lors des visites de la journée ou lors des dîners qui se transforment en soirées de chants et de danses. Ces repas aux quantités de nourriture gargantuesques commencent par un mot de remerciement très solennel du doyen de Tubuai. Puis les éclats de rire fusent au son du ukulele pendant ces soirées où Polynésiens et anciens missionnaires se retrouvent.
A l’approche de la conférence, l’excitation grandit. « Nous allons pouvoir y être pour de vrai, voir le prophète en vrai », témoignent Samyu et Fara, les filles de Apiatara. Kelley, une Tahitienne qui vit à Paris, a aussi décroché son billet. Après la conférence, elle partage sur Instagram: « always great moment to hear the voice of the Lord » (c’est toujours un très beau moment d’entendre la voix du Seigneur).
Autre temps fort du pèlerinage : la visite du temple de Salt Lake City, réservée aux membres de l’église. Pour avoir le droit d’y entrer, les Polynésiens ont dû demander à leur évêque local une attestation de membre. La plupart l’ont eue à temps. Mais certains, comme Éric, n’ont pas décroché ce sésame. Éric explique que le temple n’est pas accessible à tous car il est sacré, comme le sont les « ordonnances » qui y ont lieu. Pendant ces ordonnances, des « alliances » solennelles avec Dieu sont prononcées pour les pèlerins eux-mêmes, ou pour leurs ancêtres. Parce que « nous croyons que les âmes de nos ancêtres peuvent être sauvées, même des siècles après leur mort ».
Pour sauver toutes ces âmes, l’église mormone à mis en place un projet généalogique indépendant, recensant les liens qui unissent des milliards d’êtres humains à travers les âges. Les documents utilisés pour ce grand recensement sont archivés dans une forteresse, creusée à la dynamite, au sein d’une montagne de l’Utah. Une sorte de Fort Knox de la généalogie, en vue de nourrir la base de données d’âmes attendant d’être sauvées par leurs descendants.
Pour consulter cette base de données, l’église des Mormons a mis sur pied un site web en libre accès et un centre de recherche avec des ordinateurs pour se rendre sur ce site web. Le centre de recherche de Salt Lake invite membres et non membres de l’église Mormone à effectuer des recherches sur leurs ancêtres. Parce que « la famille est sacrée dans l’église », explique Roland, un Mormon Français qui travaille pour l’Eglise à Salt Lake City.
Proselytes, les Mormons choisissent d’évangeliser par le service. Le devise de l’université BYU est ainsi : « Enter to learn, go forth to serve » (Entrez pour apprendre, répandez-vous pour servir). Accueilli pendant presque une semaine chez Steven et Dori, rencontrés à Temple Square, j’ai été touché par leur hospitalité. Je suis également conscient que cela peut aussi être leur moyen de me convertir.
D’autres sont moins subtils dans leur tentative de conversion, comme Pierre. Ce Tahitien me dit dès qu’on se rencontre : « Ici tu vas découvrir le vrai bonheur si tu écoutes les missionnaires. Tu vas voir, ce moment va changer ta vie à tout jamais. Et tu te souviendras alors que c’est moi, Pierre, qui te l’ai dit. » Et quelques jours plus tard, il me demande : « Alors, vas-tu demander le baptême? » Sans façon. Malgré cela, quand Éric propose de me bénir pour la suite de mon voyage, j’accepte. Par respect pour son pèlerinage transpacifique.
Pour voir la story Instagram du pèlerinage, c’est ici :
https://www.instagram.com/stories/highlights/17876625475453622/
Pour vous rendre au Temple Square de Salt Lake City, allez ici :
Sur place, ne manquez pas le concert du chœur du Tabernacle le dimanche matin à 9h30, c’est gratuit.
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