Reportage en Septembre 2019

Pour le premier pèlerinage aux Etats-Unis, direction l’Alaska. A deux heures au Sud de Fairbanks se trouve le Stampede Trail, chemin de randonnée emprunté par Christopher McCandless en avril 1992. Chris a suivi ce trail pour se retirer dans la nature sauvage pendant plus de 100 jours, s’établissant dans un bus abandonné, le bus 142, qu’il a affectueusement nommé le Magic bus. C’est là qu’il est décédé, en août de la même année, probablement empoisonné par des graines qu’il mangeait pour survivre. Il avait alors épuisé ses ressources et ne pouvait retourner à la civilisation, coincé par la crue de la rivière Teklanika. Son histoire a été magnifiée et popularisée par John Krakauer dans son livre Into the Wild, puis par Sean Penn dans le film éponyme. De nombreux fans viennent en Alaska pour faire le pèlerinage jusqu’au Magic bus pour Chris. Rencontre avec ces pèlerins.

Jimmy, Ludovic et Cyril sont trois jeunes Français originaires du Sud-Ouest. Après deux ans passés ensemble au Canada, ils ont décidé de faire étape en Alaska pour accomplir un rêve : marcher jusqu’au Magic bus. Touchés par l’histoire de Chris dans le film de Sean Penn, ils voulaient marcher sur ses pas, faire l’expérience du cadre de vie qu’il a choisi. « J’avais vu à la télé les gens aller au bus, mais je voulais vivre cela, marcher, aller voir », confie Jimmy. « Je voulais vraiment vivre ce qu’il avait vécu, et comprendre pourquoi il avait choisi cet endroit. Et, sur place, j’ai compris pourquoi il en est tombé amoureux »  surenchérit Cyril avec un grand sourire. Mais pour aller sur place, il faut traverser la rivière Teklanika, un gros morceau dont les trois Frenchies parlent avec émotion, dans un flot ininterrompu. « Pour faire face au courant de la Tek, on avançait en marchant en crabe. Penchés sur nos bâtons, on avait presque le cou dans l’eau » se rappelle Ludovic. S’ils considèrent que cette rivière contribue à faire de ce pèlerinage une véritable aventure, ils savent que la traverser n’était pas sans risque, loin de là.

Car il y a déjà eu des tragédies. En tentant la traversée au retour du bus, une Biélorusse est décédée, à peine deux mois plus tôt. Elle s’appelait Veranika, mais tout le monde l’appelait Nika. Son mari Piotr, alors en voyage de noce avec elle, a accepté de m’accorder une interview via Skype avant que je n’embarque pour ce pèlerinage. Nika et lui étaient venus en Alaska pour vivre une aventure dans la nature sauvage et avaient prévu de continuer en stop vers le Sud, direction la Californie. Pour eux, une étape au Magic bus de Chris s’imposait, car ils partagent avec lui ce goût pour le stop, la nature et la liberté. Chris avait vécu cette aventure dont ils rêvaient. Nika aura malheureusement suivi son destin tragique, décédant comme Chris à 24 ans. Elle a fait l’erreur, fatale, de s’attacher avec une corde à un point fixe. Lorsqu’elle a perdu pied, elle a été maintenue par la corde, et s’est noyée. Une erreur déjà commise par une Suisse dix ans plus tôt, avec les mêmes conséquences. Piotr a désormais pour combat de faire construire un pont à cet endroit, afin d’éviter un nouveau décès et d’en faire un mémorial pour Nika.

Arrivée à pied au bus, je ne rencontre dans les jours qui suivent que des gens qui ont choisi un autre moyen pour se rendre ici. Ils ont ainsi évité la traversée de la Teklanika. Travis est arrivé en kayak gonflable, tandis que Leslie et son père sont venus … en hélicoptère. Leslie, qui vient de Californie, est venue rendre hommage à Chris. Elle entre dans le bus comme dans une église, se penchant sur tous les mots gravés à l’intérieur par les pèlerins. L’émotion est palpable à sa découverte dans le bus d’une bible, d’une plaque commémorative déposées par les parents de Chris, et d’une sorte de pierre tombale. Cette pierre a été laissée au pied du bus par la sœur de Chris. Quand je demande à Leslie si elle a trouvé ce qu’elle était venue chercher, elle éclate en sanglots. Elle a perdu une personne chère récemment et elle est bouleversée de voir que Chris continue d’inspirer tant de gens, même après sa mort. Elle en tire comme leçons que la mort n’est pas la fin de tout et que la valeur de la vie d’une personne ne se compte pas en nombre d’années sur terre.

Travis, l’homme au kayak gonflable, est un chauffeur de bus dans le parc voisin de Denali. Il ne vient pas rendre d’hommage à Chris, mais sa présence est loin d’être anodine. Car c’est la cinquième fois qu’il vient. Il cherche à comprendre pourquoi autant de personnes affluent, du monde entier, ici, pour vivre un rêve qui n’est pas le leur, mais celui de Chris. Il se demande pourtant : est-ce finalement une mauvaise chose de vivre les rêves des autres ? Il est à un tournant de sa vie et cherche ici des réponses. Quand je lui parle de l’histoire de Piotr et Nika, il est bouleversé. Je mentionne le fait que Piotr a perdu dans la Teklanika le sac avec les dernières photos de Nika, et il part bille en tête le chercher avec son kayak, me lançant  » Now I have a purpose bigger than myself  » (Maintenant j’ai un objectif qui est plus grand que ma petite personne).

Travis n’est pas le seul à chercher un sens ici. Parmi les centaines de mots écrits sur des carnets dans le bus, des pèlerins rappellent qu’ils sont à un moment difficile de leur vie et qu’ils viennent ici pour réfléchir, espérant une transformation dans leur vie. D’autres personnes, plus nombreuses, remercient Chris pour l’inspiration qui les pousse chaque jour. Il y a même une femme qui remercie Chris pour son sacrifice. Faisant ainsi de lui une figure Chris-tique. Dans un bus magique. Cela vaut bien un pèlerinage.

Pour regarder la story Instagram de mon reportage, c’est par ici : https://www.instagram.com/stories/highlights/18097658014024980/

Si vous envisagez de vous rendre au bus, soyez bien entraînés et équipés, prévenez les autorités que vous y allez, prenez un spray anti-ours, une carte, des affaires chaudes et suffisamment de nourriture pour au moins une semaine. Ne traversez pas la rivière à l’endroit où le Stampede trail croise la Teklanika, mais 3.5 km en amont de la rivière, sans utiliser de corde, mais des bâtons de marche. Si c’est votre plan, alors vous pouvez envisager d’aller au Bus ici :

Si vous ne remplissez pas ces conditions, vous pouvez toujours aller au bus créé pour le tournage d’Into the Wild, exposé dans la cour de la 49th State Brewery ici :